"Keep on rockin' in the free world"

Assise sur les marches du perron, Koyuki soupira. Elle jeta un œil distrait à la page du livre qui était étalé sur ses genoux, puis le referma, n'arrivant pas à se concentrer sur sa lecture. Elle saisit son téléphone portable, et consulta une énième fois le même message, puis rangea le petit appareil.
Elle tenta de s'amuser de son lapin mutant qui courait après un mulot, mais n'arrivait pas à calquer son attention sur une chose aussi insignifiante. Elle lâcha un second soupir, resserra les lacets de ses converses bleu marine, et consulta l'heure sur son MP3006. Trois heures et trente-deux minutes. Ils étaient en retard.
- Aaaah, vraiment, Mademoiselle Karasu, qu'est-ce que vous me faites faire, ce n'est pas possible !
Koyuki se retourna vers la personne qui venait de parler derrière son dos. Adossée à la porte ouverte, une jeune fille aux longs cheveux châtains et ébouriffés et aux grands yeux d'un bleu électrique. Elle considérait Koyuki avec un sourire présomptueux, tournicotant une mèche de ses cheveux autour de son index gauche.
- Ah, t'es enfin là, répliqua Koyuki. Où qu'il est l'autre ?
- Peu me chaut de savoir où Némo se trouve, dit la jeune fille en haussant les épaules. Après tout, moi non plus, je ne devrais point venir à votre encontre de la sorte, sans autorisation de mes supérieurs...
- Ah ? Et pourquoi ? demanda la jeune Mercurienne, en haussant un sourcil. Je n'ai rien à voir avec votre mission, non ? Récupérer la bombe de McCollins, ce n'est pas dans mes cordes, tu le sais bien...
La jeune fille eut un soupir ennuyé, avant d'esquisser à nouveau un sourire.
- Mademoiselle Karasu... En tant que stratège de Mercure et alliée de Sieur DuValois, vous êtes un danger potentiel pour le Centre. Mais, en effet, vos capacités ne vous permettraient pas d'intervenir dans le cadre de notre quête... Car vous n'avez aucune prise sur les mystères de ce manoir et l'arme qu'il recèle... Mais passons à autre chose ! Pourquoi m'avez-vous sommée de me présenter ici au plus vite ?
- Tu pourrais laisser tomber le vouvoiement, nan ? soupira Koyuki.
- Rah la la, tous des poissards ! grogna l'autre. Bon, soit. Mais je ne répondrais à tes questions que dans la mesure du possible. Nous sommes ennemies, après tout...
Elle vint s'asseoir à côté de la Mercurienne, et planta ses yeux dans ceux de son interlocutrice.
- Je sais au sujet des Sans-Empreintes, dit Koyuki. Mes frères aînés m'ont expliqué dans les grandes lignes. Je sais que c'est un projet dérivé de la cyborganisation, que certains sont des humains normaux au départ, et d'autres non. Je sais les capacités supplémentaires qu'ils possèdent. Et je connais le nom de leur créateur. Matthew Space, ou plutôt Mathieu Karasu. Ton père. Je me trompe, Luz-Lucifer-Lucène Space ?
Les yeux de Luz avaient pris une teinte sombre. Satisfaite, Koyuki continua :
- Ce qui j'ignore, ce sont les motivations véritables motivations de ce type... Jusqu'alors, on ne m'a servi que des explications approximatives, et je me disais que...
- Bien sûr que je les connais, la coupa Luz d'un ton sec. Je dois dire que je suis bien une des seules personnes qui sache ce que ce savant fou a dans la tête... Réfléchis bien. Pourquoi crois-tu qu'il "collabore" à moitié avec L, pour la cyborganisation ? Quelle folle raison a-t-elle pu le convaincre de se soumettre, ne serait-ce qu'un peu, à cette femme ?
- Qu'est-ce que Will Collins vient faire là-dedans ? s'insurgea la Mercurienne.
- Tu as mis le doigt sur un problème. Oh, un tout petit problème. Will Collins, cyborg modifié et encadré par mon père, est le plus fort des cyborgs, et je peux te dire que sa suprématie va durer encore longtemps. Rares sont les génies capables de reproduire le travail de mon père, aussi bien au niveau des Sans-Empreintes que de ce cyborg.
Tu sais, le Centre est en passe de devenir une des organisations les plus puissantes du monde, au même niveau que l'Ecole de Stratèges ou le CRPS. Dans quelques années, peut-être que nous dépasserons même les Vénusiens. Mais cette influence ne se fait ressentir que depuis quelques temps. Mon père, lui, savait que la puissance du Centre allait se faire ressentir fortement un jour ou l'autre. Et ce, depuis longtemps. Il a envoyé plusieurs de ses associés au Centre, à l'avènement des premiers Sans-Empreintes. Ces complices ont encouragé les rafles de Sans-Empreintes que mon père avait disséminés partout dans le système solaire, puis ont disparu, passant presque inaperçus dans une suite "d'étranges disparitions" de Hauts-Placés.
Les Sans-Empreintes, comme certains cyborgs, doivent malgré eux une complète obéissance à cet homme, et je ne fais pas exception. Tant qu'il me laisse tranquille, je peux faire ce qu'il me plaît. Il en est de même pour tous les autres de la même espèce que moi : Némo, Adam, Apple... Will Collins.
Voilà le problème. Je suis une des seules à m'en être rendue compte. Le Centre foisonne de Sans-Empreintes. De créations de mon père. En qui les dirigeants portent leurs espoirs et en qui ils ont confiance...

***

Isadora lâcha un bâillement, et considéra longuement la façade de l'établissement dans lequel elle allait habiter pendant quelques mois. Mouais. Pas mal. Ne se doutant pas le moins du monde qu'un jour, sa grand-mère avait découvert l'équilibre instable du Centre là, elle gravit les marches du perron et poussa la porte sans grand entrain.

» "Don't wanna be an American idiot"...

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